Ma marotte du moment, c'est l'Etude opus 25 n.5 de Chopin
Ce qui me frappe parfois, en écoutant, et surtout, en jouant les oeuvres, c'est constater combien les compositeurs ont l'oreille fine, subtile, opérant des choix sonores de génie.
Quand je joue cette étude opus 25 n.5 de Chopin
ou Ondine de Ravel, ce qui m'émeut et me scotche dans le travail compositionnel, c'est d'observer quelles capacités d'oreille ces compositeurs possédaient ! Capable de rechercher des choses qui produisent des sons si magiques, si composites : à la fois une capacité qui signe leur personnalité musicale, et une capacité extraordinaire -littéralement extraordinaire- d'imaginer comment mettre en valeur une mise en scène sonore d'idées mélodiques "simples".
Dans l'étude opus 25 n.5
Ce qui me scotche le plus se trouve dans le passage central en mi majeur :
Le délice du mélange génial de la verticalité harmonique avec une façon chopinienne d'"horizontaliser" si j'ose dire... Ces retards mélodiques qui permettent de mélanger ce qui précède avec ce qui suit, et donc d'étaler avec grâce l'agogique du discours musical...
Je suis émerveillé tant en qualité d'auditeur qu'exécutant sur la fin de ce passage central quand survient ce passage où ce mélange est à son paroxysme
Là est le passage où j'ai le plus de plaisir, avant de retomber dans le poignant mi mineur où les accords s'enrichissent de trois sons, avec ses demi-tons écorcheurs, qui égratignent plus que la mélodie, sinon le coeur...
Cette étude, j'en ai une vision très personnelle : l'histoire de la petite fille aux allumettes.
Je vois le conte, sa progression, et je ressens l'histoire, ses différentes parties, comme jamais. Comme si cette histoire m'arrivait à moi.
Si vous ne connaissez pas ce conte, je vous le rappelle rapidement :
Une petite mendiante qui vend des allumettes, petite orpheline, se réchauffe avec ses allumettes dans le froid d'hiver devant l'indifférence des passants. Jusqu'à ce qu'il ne reste plus aucune allumette et que la petite fille meurt, toujours dans l'indifférence des passants.
Je ressens la détresse de la petite mendiante dans la mélodie en mi mineur,
Je ressens l'hypocrisie bourgeoise dans le passage en sol majeur, majeur qui sonne grinçant avec les demi-tons du contre-chant tenu par le couple 2-1 de la main droite. Comme des passants qui mettent une petite pièce avec une vague pitié, en s'exclamant, "oh la pauvre petite fille" et voilà, ils passent leur chemin, et au revoir...
Le passage central est comme un retour en pensée dans le passé de la petite fille, quand elle était heureuse avec ses parents, la joie qu'elle avait, les bons moments passés ensemble, l'amour qu'elle leur portait avant leur disparition...
Puis à nouveau la réalité s'impose, plus cruelle à mesure que manquent les allumettes et que le froid se fait plus mordant, avec ses accords à trois sons qu'écorchent ce contre-chant de demi-tons.
Lors de ce passage, je vois même la mort de la petite fille, l'angoisse de la vie à l'idée de céder à la mort, l'horreur de cette réalité au milieu des passants
S'ensuit le cadavre de la petite fille, exposé au regard indifférents de la masse des bonnes gens passant sans se rendre compte de l'horreur et de la détresse qui se sont passées là.
Je vois encore, avant la toute fin, les éléments rhétoriques qui, telle La Fontaine et ses Fables, haranguent le spectateur à écouter la morale d'une histoire
Exemple dans la fable de La Fontaine,
Le lion et le moucheron
Quelle chose par là peut nous être enseignée ?
J'en vois deux, dont l'une est qu'entre nos ennemis
Le plus à craindre sont souvent les plus petits ;
L'autre, qu'aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.
La fin de cette étude étant comme la vision de la petite fille au paradis, auprès de ses parents. (et Willy saute au couchant du soleil avec un arc-en-ciel)
Bien sûr, je doute que Chopin ait pensé à ce conte en composant cette musique.
Nous ne saurons jamais ce qu'il avait en tête en composant cette pièce, en la jouant, etc.
Disons que c'en est ma lecture, et j'espère qu'elle vous plaira, voire vous touchera !
Après, en tant qu'interprète, je ne m'attache pas à faire ressembler la musique aux passages du conte. Je fais ressembler la musique à l'idéal sonore que j'en ai. Simplement les intentions compositionnelles me touchent d'autant plus que j'y mets l'affect de ce conte, me donnant davantage l'envie de soigner les éléments du discours musical.
Je reste bien sûr ébloui par ce chant du mi mineur, avec son contre-chant, et le travail qu'il demande à l'exécutant, à son oreille plus précisément, pour équilibrer la sonorité : ne pas masquer la mélodie par ce contre-chant problématique à réaliser, ou ne pas négliger au contraire ce contre-chant en le détimbrant au profit exclusif du chant.
En capturant la vidéo, j'étais assez satisfait, mais en le réécoutant, je trouve finalement ça un peu lourd.
La rythmique des brèves-longues est un peu molle je trouve
le chant pas assez élégamment legato
et l'engagement trop franc, donnant une atmosphère lourde. A moins que ce soit la capacité de la caméra à rendre le son.
Partagez-vous cette impression ?
Peut-être aurai-je l'occasion de réenregistrer cette pièce quand je la maîtriserai mieux.
Je viens en effet de la "ressortir" il y a peu, mais j'avais tellement envie de la partager avec vous, et vous en expliquer ce que j'ai exposé. Je suis aussi enthousiaste de voir cette oeuvre rentrer en moi alors qu'avant je ressentais la mal-aisance d'y rentrer.
ce n'est pas catastrophique, mais peut-être un peu frais. Je me suis peut-être trop précipité avant de publier cette vidéo.
A voir. Vous me direz !